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Un champignon de Tchernobyl pourrait-il protéger les astronautes contre les radiations ?

La science étudie les champignons sombres, en particulier l’espèce Cladosporium sphaerospermum, comme boucliers biologiques pour protéger les astronautes des rayonnements cosmiques lors de futures missions spatiales.

Radiotropisme : les champignons de Tchernobyl révèlent un pouvoir surprenant

Cette stratégie repose sur les propriétés uniques de ces organismes, découverts après la catastrophe nucléaire de Tchernobyl, et promet de transformer à la fois l’exploration spatiale et la gestion des déchets radioactifs sur Terre.

Le 26 avril 1986, l’explosion du réacteur 4 de la centrale nucléaire de Tchernobyl a libéré une énorme quantité de matières radioactives, provoquant l’évacuation de plus de 300 000 personnes et laissant une zone d’exclusion pratiquement inhabitée.

Dans cet environnement hostile, la microbiologiste Nelli Zhdanova, de l’Académie nationale des sciences d’Ukraine, a identifié une communauté de 37 espèces de champignons sombres, dont le Cladosporium sphaerospermum, qui prospéraient sur les murs et les toits des bâtiments les plus contaminés.

Zhdanova a observé que ces champignons ne se contentaient pas de survivre, mais semblaient se développer vers les sources de rayonnement, un phénomène qu’elle a appelé « radiotropisme ». Ce comportement était paradoxal, car les rayonnements ionisants sont généralement mortels pour la plupart des organismes vivants, mais dans ce cas, les champignons ont montré une capacité d’adaptation remarquable.

Propriétés uniques : mélanine, radiosynthèse et radiotropisme

Le Cladosporium sphaerospermum se distingue par sa teneur élevée en mélanine, le pigment qui détermine également la couleur de la peau et des cheveux chez l’homme. Selon Zhdanova, la mélanine présente dans ces champignons agit comme un bouclier, absorbant les rayonnements ionisants et dissipant leur énergie, ce qui leur permet de résister à des conditions extrêmes. De plus, la mélanine agit comme un antioxydant, neutralisant les ions réactifs générés par les rayonnements.

Des recherches ultérieures, menées par la radiopharmacologue Ekaterina Dadachova de l’Albert Einstein College of Medicine de New York, ont révélé que les champignons mélanisés poussaient jusqu’à 10 % plus vite en présence de césium radioactif par rapport à des conditions normales. Dadachova a proposé la théorie de la « radiosynthèse », selon laquelle ces champignons pourraient convertir l’énergie du rayonnement en énergie chimique utilisable pour leur métabolisme. « L’énergie du rayonnement ionisant est environ un million de fois supérieure à celle de la lumière blanche, qui est utilisée dans la photosynthèse », a expliqué Dadachova à BBC Mundo, soulignant le potentiel de la mélanine en tant que transducteur d’énergie.

Cependant, la radiosynthèse reste une hypothèse à l’étude, car les mécanismes précis de conversion énergétique n’ont pas encore été identifiés. De plus, toutes les espèces de champignons mélanisés ne présentent pas de radiotropisme, comme l’a démontré une étude de 2006 dans laquelle seules neuf des 47 espèces collectées à Tchernobyl ont poussé vers une source de césium 137.

Expériences scientifiques : de Tchernobyl à la Station spatiale internationale

L’intérêt scientifique pour les capacités de ces champignons s’est étendu au-delà de l’Ukraine. En 2020, une expérience menée à bord de la Station spatiale internationale (ISS) a évalué le comportement du Cladosporium sphaerospermum dans des conditions de microgravité et d’exposition au rayonnement cosmique galactique.

Les résultats ont montré que le champignon se développait 1,21 fois plus vite dans l’espace et parvenait à bloquer une partie significative du rayonnement, ce qui suggère son potentiel en tant que bouclier biologique.

La mélanine présente dans les champignons Cladosporium sphaerospermum agit comme un bouclier naturel, absorbe les rayonnements et fonctionne comme un antioxydant

Nils Averesch, biochimiste à l’université de Floride et coauteur de l’étude, a souligné que « ce que nous avons démontré, c’est qu’il se développe mieux dans l’espace ».

M. Averesch a averti que l’augmentation de la croissance pourrait également être due à l’apesanteur, c’est pourquoi il poursuit ses recherches afin de déterminer la cause exacte. En outre, l’équipe a vérifié que même une fine couche de biomasse fongique pouvait absorber le rayonnement spatial, ce qui renforce la viabilité de son utilisation dans des environnements extraterrestres.

Applications spatiales : protection et construction sur la Lune et Mars

La NASA étudierait des projets visant à utiliser ces champignons comme matériau de protection dans le cadre de futures missions sur la Lune et Mars. L’agence prévoit de développer des « briques de champignons » et des structures de « myco-architecture » qui pourraient être cultivées directement dans l’espace, réduisant ainsi le poids et le coût du transport de matériaux traditionnels tels que le plomb, le métal ou le verre.

Lynn J. Rothschild, astrobiologiste au Centre de recherche Ames de la NASA, a comparé le transport de matériaux lourds dans l’espace à une tortue portant sa carapace, soulignant le coût énergétique élevé de cette stratégie. En revanche, les murs et les meubles à base de champignons pourraient offrir une solution auto-régénérative et efficace pour protéger les astronautes des radiations cosmiques.

Applications potentielles sur Terre : nettoyage et biotechnologie

Au-delà du domaine spatial, les scientifiques explorent l’utilisation de ces champignons pour nettoyer les sites radioactifs sur Terre. La capacité du Cladosporium sphaerospermum à absorber et à neutraliser les particules radioactives pourrait devenir un outil clé pour la gestion des déchets nucléaires. En outre, des applications possibles en médecine et en biotechnologie sont à l’étude, bien que les mécanismes d’action exacts nécessitent encore des recherches supplémentaires.

Malgré les progrès réalisés, des doutes persistent quant au fonctionnement interne de ces champignons, selon les experts. La théorie de la radiosynthèse n’a pas encore été prouvée de manière concluante, et les scientifiques continuent de rechercher le récepteur spécifique dans la mélanine responsable de la conversion du rayonnement en énergie. De plus, tous les champignons mélanisés ne présentent pas les mêmes capacités, et des facteurs tels que l’apesanteur pourraient influencer les résultats observés dans l’espace.

La découverte et l’étude des champignons noirs de Tchernobyl ouvrent de nouvelles possibilités pour la protection contre les rayonnements, tant dans l’espace que sur Terre. Si les recherches en cours confirment leur efficacité, ces organismes pourraient jouer un rôle essentiel dans la sécurité des astronautes et la gestion des déchets radioactifs, marquant une étape importante dans la biotechnologie appliquée à l’exploration spatiale et à la santé environnementale.

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