Si nous prenons le temps d’y réfléchir, nous réalisons l’ampleur du problème. Lorsque nous parlons de nanomètres dans les micropuces, nous faisons référence à la distance qui sépare les transistors (essentiellement les neurones numériques) dans une micropuce. Un nanomètre est la mesure que nous obtenons lorsque nous divisons un mètre par un milliard. Imaginons maintenant des millions de transistors séparés les uns des autres par cette distance. En fait, il peut y avoir environ 250 millions de transistors par millimètre carré dans ce type de microprocesseurs. Et moins il y a de nanomètres, plus c’est complexe.
La bataille des atomes : pourquoi la création de puces de 2 nm n’est pas seulement une question de technologie, mais aussi de géopolitique

L’idée de fabriquer des puces de 2 nanomètres est devenue l’un des plus grands symboles de la puissance technologique actuelle. Elle représente la limite de ce que permet aujourd’hui la physique du silicium et, en même temps, le cœur de la rivalité industrielle et géopolitique mondiale. Dans ce contexte, la possibilité que Huawei ait trouvé une voie alternative pour atteindre cette échelle a suscité autant d’attente que de scepticisme. Non pas parce que le géant chinois n’est pas capable d’innover, mais parce que la voie vers les 2 nm est aujourd’hui étroitement liée à une technologie à laquelle il n’a pas accès.
À l’heure actuelle, seuls deux grands fabricants ont annoncé de manière crédible la sortie de puces de 2 nanomètres. TSMC prévoit de lancer la production en série de son nœud N2, avec une nouvelle architecture de transistors connue sous le nom de Gate-All-Around (GAAFET), indispensable pour contrôler les courants électriques à des échelles aussi infimes. Samsung, quant à lui, s’est montré encore plus agressif dans ses annonces publiques et aspire à déployer ses propres puces 2 nm entre 2025 et 2026, tant pour les téléphones mobiles que pour le calcul haute performance. Dans les deux cas, la clé est la même : la lithographie ultraviolette extrême.
C’est là que se trouve le grand goulot d’étranglement. La fabrication de puces de 2 nm dépend de la technologie EUV (Extreme Ultraviolet), qui utilise une lumière de 13,5 nanomètres pour « dessiner » les transistors sur la plaquette de silicium. À cette échelle, les structures internes de la puce sont si petites qu’une erreur de quelques atomes seulement peut la rendre inutilisable. Pour mieux comprendre : sur une puce de 2 nm, les éléments critiques du transistor sont beaucoup plus petits que des virus individuels. Sans la technologie EUV, la complexité atteint des niveaux presque insurmontables.
Le problème, pour Huawei, est que cette technologie est monopolisée par une seule entreprise dans le monde, ASML, et c’est précisément l’accès à ses machines qui marque la frontière entre ceux qui peuvent et ceux qui ne peuvent pas rivaliser à la pointe de la technologie des semi-conducteurs. Huawei, en raison des embargos technologiques imposés par les États-Unis et leurs alliés, ne peut pas acquérir d’équipements EUV. Elle ne peut pas non plus faire librement appel à des fabricants de pointe tels que TSMC. Cette limitation explique pourquoi le problème des 2 nm n’est pas seulement technologique, mais aussi profondément politique.
Face à ce scénario, Huawei a choisi de rechercher des voies alternatives. Un brevet déposé par l’entreprise décrit des méthodes de fabrication de puces de « classe 2 nm » sans recourir à l’EUV, grâce à des techniques plus complexes de multiples motifs avec lithographie conventionnelle (DUV), de réorganisation des couches et de structures tridimensionnelles plus sophistiquées. Sur le papier, la proposition est ingénieuse et cohérente d’un point de vue théorique. Mais le fossé entre un brevet et une usine opérationnelle reste énorme.
Fabriquer des puces aussi avancées sans EUV implique de répéter plusieurs fois le processus de lithographie sur la même couche, avec des alignements extrêmement précis. Chaque répétition augmente le risque d’erreur, réduit le rendement par plaquette et fait exploser les coûts. À des nœuds plus grands, cette stratégie est viable. À 2 nm, elle frôle la limite de ce qui est physiquement possible. C’est pourquoi même des géants comme TSMC et Samsung, qui ont des décennies d’expérience et des ressources presque illimitées, dépendent de manière critique de l’EUV pour maintenir des taux de production acceptables.
En ce sens, ce que propose Huawei n’est pas tant une démonstration immédiate de capacité industrielle qu’un signal stratégique. L’entreprise montre qu’elle n’est pas résignée à rester en dehors de la miniaturisation extrême et qu’elle explore des voies pour contourner un blocage technologique sans précédent. Mais il convient de souligner une différence essentielle : concevoir une solution potentielle n’équivaut pas à produire des millions de puces fiables, efficaces et rentables.
À l’heure actuelle, le consensus dans l’industrie est clair. Les 2 nanomètres existent, mais ils sont indissociables de l’EUV. Huawei, exclue de cette technologie, tente de redéfinir les règles avec ingéniosité et patience. La question de savoir si elle y parviendra reste ouverte. Quoi qu’il en soit, son pari illustre à quel point la course aux semi-conducteurs n’est plus seulement une histoire de transistors plus petits, mais reflète la manière dont la science, l’industrie et la géopolitique sont désormais inextricablement liées.

