Aller au contenu

Psychologue : « Les chansons de l’adolescence ouvrent une porte émotionnelle que nous croyions fermée, mais qui en réalité était seulement silencieuse. »

En boucle. Tout à coup, vous vous surprenez à écouter (et qui sait, peut-être même à chanter ou à danser) cette chanson qui n’apparaissait plus depuis longtemps dans votre playlist, mais qui, soudainement, vous transporte vers une période de votre vie que vous avez vécue avec une intensité rare, l’adolescence. Des mélodies et des paroles qui vous font voyager avec vos sens vers cette époque. Pourquoi faisons-nous cela ? Pourquoi, à un moment donné, faisons-nous un retour en arrière en ce qui concerne nos goûts musicaux ?

Pourquoi réécouter la musique de son adolescence réveille-t-il autant d’émotions ?

Quand quelqu’un me dit en consultation qu’une chanson de son adolescence « l’a bouleversé », cela ne me surprend pas. Cette période est très intense sur le plan émotionnel et le cerveau enregistre chaque expérience avec une sensibilité particulière. La musique, qui accompagne beaucoup de ces premières fois, devient une sorte de bande sonore interne. C’est pourquoi, lorsqu’elle retentit à nouveau, nous ne la reconnaissons pas seulement : nous la ressentons.

Et ce que nous ressentons, ce n’est pas seulement la mélodie. C’est l’écho de cette époque : les amitiés, les moments de liberté, les découvertes, les blessures qui commençaient à cicatriser. Les chansons de l’adolescence ouvrent une porte émotionnelle que nous croyions fermée, mais qui en réalité était seulement silencieuse.

Quel rôle joue la mémoire autobiographique dans ce lien avec les chansons du passé ?

La mémoire autobiographique conserve l’histoire que nous racontons sur nous-mêmes. Cette mémoire ne fonctionne pas avec des données, mais avec des significations. Et la musique est un stimulus privilégié pour l’activer. Lorsque nous écoutons une chanson du passé, nous ne nous souvenons pas seulement du moment : nous y retournons émotionnellement. Cette mémoire nous aide à renouer avec qui nous étions et comment nous avons appris à évoluer dans le monde. C’est pourquoi une mélodie peut réactiver non seulement un souvenir, mais aussi une version de nous-mêmes qui apparaît très clairement pendant quelques secondes.

La musique que nous écoutions à l’adolescence devient-elle une sorte de « marque émotionnelle » permanente ?

Oui, et je le constate constamment. Les chansons de cette période restent associées à des moments de construction personnelle : qui j’aimais, ce qui me faisait peur, ce à quoi j’aspirais, ce qui me faisait me sentir libre. Elles fonctionnent comme de petites capsules émotionnelles qui survivent au passage du temps. Ce qui est curieux, c’est que, même si nous changeons, cette musique continue de parler de nous. C’est comme une marque émotionnelle qui reste, non pas parce que nous n’avons pas évolué, mais parce qu’elle fait partie du sol sur lequel nous marchons aujourd’hui.

Que se passe-t-il dans le cerveau lorsqu’une vieille chanson nous transporte à un moment précis de notre vie ?

Au niveau cérébral, il se produit quelque chose de presque magique. Lorsque nous écoutons une vieille chanson, les zones liées à l’émotion, à la mémoire et au plaisir s’activent de manière coordonnée. En consultation, j’explique souvent cela comme un heuristique, c’est-à-dire un « raccourci émotionnel » : la musique active soudainement les souvenirs et les sensations associés sans que nous ayons à les rechercher. C’est pourquoi le voyage est si vivant. Non seulement nous nous souvenons de cette scène, mais d’une certaine manière, nous la revivons. Le corps se souvient, l’émotion se réveille et, l’espace d’un instant, le passé et le présent se superposent.

Pourquoi ressentons-nous à la fois de la nostalgie et du bien-être en revivant ces mélodies ?

La nostalgie est une émotion très particulière, mélange de douceur et d’adieu. Lorsque nous écoutons la musique de notre adolescence, nous ressentons de la joie pour ce que nous avons vécu, mais aussi un petit pincement au cœur pour ce qui ne reviendra plus. J’ai l’habitude de la définir comme une émotion passerelle : elle relie ce que nous étions à ce que nous sommes. Le bien-être apparaît parce que ce regard sur le passé nous réconcilie avec notre histoire. Se souvenir avec tendresse nous aide à intégrer des étapes qui sont peut-être restées inachevées et nous permet d’apprécier la vie que nous avons menée.

La musique peut-elle être un outil pour renouer avec notre identité et notre histoire personnelle ?

Oui, profondément. La musique est un moyen émotionnel direct d’accéder à des souvenirs et à des parties de notre identité qui sont parfois endormis. Dans ma pratique professionnelle, je l’utilise parfois parce qu’elle permet d’aborder des expériences qui ne peuvent pas toujours être exprimées par des mots. Une chanson peut ouvrir un espace que le discours ne peut atteindre.

De plus, écouter de la musique significative du passé nous aide à voir notre parcours plus clairement : ce que nous avons laissé derrière nous, ce dont nous avons encore besoin, ce que nous voulons retrouver. C’est un outil simple, mais très puissant.

Quelle est la différence entre écouter de la nouvelle musique et revenir à la musique d’époques passées ?

La nouvelle musique nous place dans le présent : elle nous invite à découvrir, à ressentir quelque chose de différent, à aller vers ce qui vient. C’est une expansion. Beaucoup de gens la vivent comme un moyen d’accompagner le moment présent. La musique du passé, en revanche, nous invite à nous tourner vers l’intérieur. Ce n’est pas une nouveauté : ce sont nos racines. Elle nous ramène à des lieux émotionnels familiers, à des versions de nous-mêmes qui font toujours partie de notre identité. C’est pourquoi ces deux expériences sont complémentaires : l’une ouvre la voie, l’autre nous rappelle qui nous sommes sur cette voie.

Partagez cet article sur les réseaux sociaux !