La découverte a été présentée il y a quelques heures. Dans la nuit, les pointes, éclairées par des bougies, brillaient avec l’intensité des yeux d’un félin dans l’obscurité, dans un champ enneigé. Ou comme des soleils vibrants, eux aussi réfléchissants, pendant les heures ensoleillées. Lorsque les archéologues ont commencé à fouiller la zone humide aux portes de Boeslunde, dans l’est du Danemark, ils se sont déplacés dans un paysage qui, depuis des millénaires, construit son sens autour de l’eau. Nous sommes sur la côte ouest de l’île de Sjælland, non loin de la côte sud qui fait face au Grand Belt : un territoire fait de champs vallonnés, de petites forêts, de dépressions marécageuses et surtout de sources pérennes, celles qui, dans les cultures nordiques de la fin de l’âge du bronze et du début de l’âge du fer, constituaient l’un des points de contact privilégiés avec le monde des esprits. L’extraordinaire richesse des dépôts, déjà connus depuis des décennies, sur le site ne laissait aucun doute : ici s’était exercé un culte qui exigeait des gestes répétés, coûteux et ritualisés. Et maintenant, une autre découverte. Celle de deux pointes de lance, peut-être rituelles, qui associent le fer – qui était à l’époque un matériau innovant – à l’or. Aux points qui descendent vers l’accrochage, le fer est recouvert d’un fil d’or enroulé sur lui-même. Le long des lames apparaissent, comme des soleils ou des étoiles, des cercles évidents, insérés dans le corps vivant du métal pauvre, puis uniformisés. Or et fer.
Les lances de Boeslunde : premiers fers rituels et offrandes sacrées dans le Sud de la Scandinavie

Les communautés qui fréquentaient ce lieu sacré avaient disséminé au fil des siècles des anneaux d’or pour les serments, des spirales d’or en quantité inhabituelle, des feuilles pliées, des fragments, de petits bijoux : une constellation scintillante déposée de manière systématique autour de la source. À proximité de l’eau sacrée s’étendaient également de vastes fosses de cuisson : signes de séjours récurrents, probablement des banquets cérémoniels, des moments d’assemblée et de renouvellement des pactes. Tout suggérait un centre rituel stable, capable d’attirer des clans et des familles de différentes parties du sud de la Scandinavie.
C’est dans ce décor déjà marqué par une sacralité stratifiée que les découvertes les plus surprenantes ont été faites : deux pointes de lance fines, effilées, forgées à lame large et au profil relativement plat. La première, mieux conservée, atteint 47 centimètres de longueur actuelle, tandis que la reconstruction indique une longueur d’origine d’environ 60 centimètres. La seconde, plus fragmentaire, présentait des lignes et des proportions similaires. Toutes deux présentent un canal médian et un col légèrement évasé, suggérant leur insertion sur des hampes en bois léger, adaptées à un usage cérémoniel ou à un défilé. L’élément le plus énigmatique restait toutefois le matériau lui-même : il s’agissait de lances en fer, dans une région qui, à la date de leur fabrication – entre 900 et 830 avant J.-C. – ne disposait pas encore des technologies locales nécessaires pour travailler ce métal.
La confirmation est venue de l’analyse de la résine de bouleau utilisée comme adhésif dans le fourreau d’une des pointes : un matériau polyvalent, utilisé pour fixer des éléments organiques et métalliques – dans ce cas pour coller et fixer la pointe au bâton de la lance – et qui a fourni ici une datation incontestable. Le fer des lances de Boeslunde est le plus ancien jamais documenté au Danemark. Ce fait ouvre un scénario plus large : les armes devaient provenir de régions où la métallurgie du fer avait déjà commencé à se développer, comme certaines zones d’Europe centrale liées à la culture des champs d’urnes, ou certaines zones de la Grèce géométrique, où le nouveau métal, bien que rare, s’imposait parmi les élites aristocratiques. Il s’agissait donc d’une innovation technologique, offerte au dieu de la source, peut-être par de nouveaux groupes émergents, au cours des révolutions liées à l’effondrement de la fabrication et de l’économie du bronze.
Mais ce qui rend ces armes vraiment uniques, ce sont les incrustations d’or, réparties sur la lame comme de petits cercles lumineux. Une technique de grande habileté, appliquée avec précision sur un matériau qui, à l’époque, représentait l’avant-garde technologique. Aucune lance en fer de la même époque, ni en Scandinavie, ni en Europe centrale, ni en Méditerranée, ne présente de décorations similaires. L’or, élément qui, dans la symbolique nordique, incarnait la lumière, l’autorité et la durée, était ici associé au métal nouveau, opaque et mystérieux : une combinaison qui amplifiait la valeur symbolique des armes. Ce ne sont pas des objets de combat, mais des signes de pouvoir, peut-être les attributs d’un chef tribal ou d’un dignitaire, ou encore des cadeaux cérémoniels destinés à cimenter des alliances.
Fer et or : des lances uniques de l’âge du bronze

Leur dépôt dans la source sacrée – un lieu déjà saturé d’or et de gestes rituels – indique clairement qu’ils ont été « remis » aux eaux comme acte final d’un rituel de très haut niveau. Après avoir longtemps circulé comme symboles de statut social ou instruments diplomatiques, ces objets de prestige étaient rendus au monde invisible, confiés à l’eau qui garantissait le passage du territoire des hommes à celui des forces spirituelles. Ici, dans la Boeslunde de la fin de l’âge du bronze, l’eau n’était pas un simple élément naturel : elle était un seuil, un interlocuteur.
La position géographique de la région joue un rôle important dans ce contexte : la proximité de la mer, des voies navigables intérieures et des passages qui reliaient Sjælland à Fionie et aux côtes méridionales de la Suède favorisait les échanges à longue distance. Boeslunde n’était donc pas un lieu isolé, mais un nœud d’interconnexion – culturel, économique, religieux.
Les deux pointes de lance, désormais exposées au Museum Vestsjælland, s’inscrivent dans cette histoire plus large : elles racontent l’arrivée précoce du fer dans le Nord, l’étendue des réseaux de trafic de métaux précieux, la complexité des élites de la fin de l’âge du bronze scandinave et surtout la profonde spiritualité qui imprégnait la relation avec les eaux. Elles sont les témoins silencieux d’un monde qui savait conjuguer innovation et rituel, pouvoir et dévotion, territoire et vision mythique, laissant aux générations futures une trace capable de réécrire les origines de la métallurgie nordique.
